La Compagnie MAD / Sylvain Groud

La danse de Sylvain Groud se construit au point de rencontre avec l’altérité, qu’il s’agisse de non-danseurs ou d’artistes, dans une relation à double sens, selon un protocole d’approche précis. Elle crée également ses règles intrinsèques dans un corps-à-corps avec la musique, et d’autant plus avec la présence des musiciens sur scène. Ces deux vecteurs constituent les strates du laboratoire de création, dans une actualité poétique sans cesse renouvelée, d'une chorégraphie de résistance. 

 

Un protocole de reconnaissance de l’autre

À la source de ses créations au plateau, Sylvain Groud puise dans un travail régulier et souterrain, la rencontre avec le non-danseur et l’étude chorégraphique du quotidien, a priori non dansé. Il tente de constituer, par son approche singulière du prochain, tout un potentiel, un catalogue de gestes, dont il s’empare en même temps qu’il propose à l’amateur de s’en emparer. Toute action du corps conditionnée par un quotidien intime ou par le travail est susceptible d’appropriation par l’amateur dont il est la source, et s’adjoint inlassablement au matériau du chorégraphe. Cette danse qui documente et ré-enchante le quotidien donne du relief au trivial, à l’invisible, en proie à la désaffection d’une répétition constante. Bien plus qu’une transmission ou une médiation, c’est une catalyse que Sylvain Groud tente de créer dans cet apparent effacement du geste dansé derrière le narratif. À partir de ce matériau tiré d’une expérience corporelle familière, le chorégraphe initie le non-danseur à une technique qui lui permet ensuite de construire la chorégraphie dans un processus de reconnaissance de soi. Le protocole en jeu est un déplacement du mouvement banal dans le triptyque espace-temps-énergie qui permet de s’approprier le geste et prendre confiance. Un apprentissage des bases techniques permet de se dégager de la peur de ce présenter à autrui, cette gêne de la proximité, et permettre l’affirmation de soi en s’appuyant sur le regard de l’autre. La danse se fait ainsi vecteur d’échange au cœur du collectif et crée une communication décomplexée dans ce paradoxe entre mise en fragilité et confiance en soi et en l’autre.

Sylvain Groud fait ce pari, renouvelé depuis plus de 10 ans, qui fait ses preuves, de convoquer l’estime de soi au bon endroit tout en évitant l’écueil psychologique. L’amateur, producteur de geste est autant responsable que le chorégraphe de ce qui se passe et éviter la consommation passive. Dans un constant refus de l’autorité du médiateur, la place de l’amateur ne se situe pas dans le pathos ou dans l’affectif, c’est bien d’altérité dont il s’agit et non d’altruisme. Ce rapport permet en effet de prendre le recul nécessaire à l’appréhension de la matière à la manière d’un plasticien. Que ce soit dans le cadre d’ateliers ou de pièces participatives déjà chorégraphiées dont les amateurs s’emparent, les propositions permettent une reconnaissance du collectif. Ainsi la transmission est toujours à improviser, car c’est véritablement un protocole de rencontre, qui permet de travailler avec tout le monde (danseurs professionnels de l’Opéra ou contemporains, danseurs amateurs, personnes à mobilité réduite, personnes âgées, ouvriers, adolescents, enfants). C’est cette démarche qui l’incite à se confronter à des artistes d’autres mediums, avec la comédienne Bérénice Bejo dans Trois Sacres (2016), le vidéaste Grégoire Korganow dans Memento Vivere (2015), le plasticien Jonathan Loppin dans Chambre 209 (2012), l’écrivain Maylis de Kerangal dans Je suis descendu du plateau (2010).

 

Faire corps avec la musique

L’approche de la musique par Sylvain Groud, outre marquée par la collaboration avec des musiciens d’horizons multiples, commence par une écoute acharnée des tons, des rythmes, des pulsations, des variations, des couleurs, comme autant de particularités d’un langage qui se traduit par une lecture chorégraphique sensible. Dans un rapport fondamentalement sensoriel, il cherche l’osmose avec la musique. Ces règles du jeu amènent à une écriture automatique liée à une improvisation qui se nourrit et traite toutes les informations et les moments d’échanges accumulés. Paysage, scènes, tableaux, atmosphères, le chorégraphe propose des phrases se répondant comme dans une discussion. Ce travail corporel à partir de et avec la musique, et parfois même le chant, est marqué aussi bien par l’amour de la musique minimaliste de Steve Reich, que de la musique classique, de la musique électronique et du jazz. La musique live permet de garder ce contact visuel avec l’autre qui est le musicien. Dès 2009, avec Cordes, une commande de l’Opéra de Rouen-Normandie, Sylvain Groud invite des musiciens de l’orchestre à monter sur scène dans un affrontement avec les danseurs, qui se prolonge avec Donc, créé dans la foulée avec la violoniste Jane Peeters. Music for 18 Musicians (2013) lui permet de travailler avec Rémi Durupt et son ensemble LINKS. Dans La Déclaration avec Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance, sa prochaine création à l’automne 2017, il se pose une nouvelle contrainte : le décompte Jazz en 10 temps, inhabituel pour la danse. En travaillant au plateau avec une musique qui déborde la partition, il greffe sa chorégraphie à une musicalité marquée par l’improvisation, une musique qui communique et qui doit compter sur une acuité renforcée des danseurs, tout comme l’attention qui existe entre les musiciens eux-mêmes. Correspondance et communications, effets domino dans la construction entre les danseurs et les musiciens, qui créent décalages, débordements, canons et harmonies. Avec l’amateur, le travail se fait aussi dans la musicalité. Que ce soit l’étude de la partition de Steve Reich avec ses pulses et ses tonalités (Music for 18 Musicians, 2013, toujours en tournée), ou l’appréhension instinctive de la musique électronique dub (Collusion, 2011), en passant par l’appropriation de tubes populaires (Come Alive, 2016), les danseurs de tous âges et profils sont conviés à travailler ensemble une chorégraphie ambitieuse pour partager le plaisir d’être ensemble.

 

Une chorégraphie sensorielle de résistance

La prise de risque constante au frottement de l’autre, qu’il soit non-danseur ou artiste est un moyen d’introspection pour Sylvain Groud, qui révèle son actualité poétique. Il se crée un laboratoire de gestes et sa propre recherche du mouvement se charge, se stratifie de milliers d’expériences du quotidien et d’émotions partagées, qui clarifient en permanence les chemins qu’il veut emprunter dans la danse. Ce qui est devenu une des spécialités du chorégraphe se déploie dans tous les axes de son travail, des ateliers de sensibilisation avec le non-danseur jusqu’aux créations au plateau avec des danseurs professionnels et des artistes en passant par les pièces participatives et inclusives pour tous. Cette présence forte du quotidien se retrouve sensiblement au plateau, aussi bien d’un point de vue évocateur et narratif (déshabillage, lavage des mains) que d’une appropriation esthétique parfois inconsciente (écriture chorégraphique pure). La qualité du geste de Sylvain Groud se traduit par une danse terrienne, athlétique et éprouvante et des mouvements puissants qui déjouent le vertical. Les pieds fermement ancrés au sol obligent à appréhender comment le corps étend et résiste tout à la fois à la dynamique circulaire du haut du corps. Ce constant rétablissement dans la chute, qui confère parfois à l’épuisement, convoque une chorégraphie de la résistance, une résilience perpétuelle à la vie. Un équilibre entre la peur viscérale de ce dont est capable l’humanité et une confiance irrémédiable en l’amateur et en le regardeur, dans une dernière tentative de trouver ou de réveiller la bonté chez l’autre . Une apparente naïveté qui est en fait une active posture pour conserver le spontané, l’instinct, la réactivité. Au plateau, cette posture se traduit dans la convocation d’une sensualité et d’un trouble pour détricoter le viril et l’autorité dans la séduction et tenter de retrouver de la délicatesse.

 

 

Portrait de Sylvain Groud (c) Grégoire Korganow 

SYLVAIN GROUD

 

En 1991, Sylvain Groud est diplômé du CNSMD de Paris, section danse contemporaine, et reçoit le prix d’interprétation du concours de Bagnolet avec la compagnie Gigi Caciuleanu. De 1992 à 2002, il est danseur chez le chorégraphe Angelin Preljocaj. Il est lauréat du Concours International de Paris avec sa première chorégraphie et crée ensuite pour le Théâtre national de Bucarest en Roumanie et l’Opéra de Skopje en Macédoine. En 2007, sa pièce Si vous voulez bien me suivre, est remarquée. Avec ses projets in situ, comme People (aujourd’hui plus de deux cents représentations), Sylvain Groud s’attache à faire émerger la danse là où on ne l’attend pas. En 2010, l’Opéra de Rouen lui commande Cordes, pièces pour 8 danseurs et 24 musiciens sous la direction du chef d’orchestre Benjamin Lévy. Dans cette continuité de recherche sur la relation musique/danse, il crée en 2011, Héros Ordinaires pour 4 danseurs et 4 chanteurs lyriques et Collusion pour 4 danseurs avec le compositeur électro Molécule. En 2010, Je suis descendu du plateau est le fruit d’une rencontre avec l’auteure Maylis de Kerangal. La même année, il est invité à rencontrer cinq danseuses Hip Hop à Suresnes Cités Danse et crée Elles, travail qui se prolonge par le solo Ma leçon de hip hop en 2013. En 2012, il commande une œuvre au plasticien Jonathan Loppin. Ensemble, ils créent Chambre 209, une installation chorégraphique, numérique en quadrifrontal. En 2013, passionné par la musique de Steve Reich, Sylvain Groud crée une chorégraphie participative sur Music for 18 Musicians, interprétée en live par l’Ensemble Links. Depuis 2013, le vidéaste Grégoire Korganow trace la présence du chorégraphe auprès des corps fragiles, « Les Chroniques dansées », une collection de films courts réalisés dans différents services du CHU‐Hôpitaux de Rouen depuis 3 ans. En 2015, ils conçoivent ensemble Memento Vivere, une chorégraphie jubilatoire pour 4 danseurs. En 2016, Sylvain Groud crée Come Alive, une battle chorégraphique participative sur l’icône pop et son appropriation, commande du festival Days Off de la Philharmonie de Paris et Trois Sacres, avec Bérénice Bejo. Pour 2017, il prépare La Déclaration, une pièce chorégraphique et musicale pour 5 danseurs et 5 musiciens, avec la compositrice Naïssam Jalal et son ensemble Rhythms of Resistance. 

 

Créée en 2002, la Cie MAD / Sylvain Groud s’installe en Normandie en 2006 et est accueillie en résidence à Vernon. Depuis 2006, les expériences partagées avec la mission Culture à l’hôpital du CHU- Hôpitaux de Rouen mènent la compagnie en résidence à l’EHPAD Boucicaut à Mont-Saint-Aignan. Entre 2008 et 2014, la compagnie reçoit pour ses projets le soutien de la Fondation BNP Paribas. Sylvain Groud est artiste associé aux scènes nationales de Saint-Quentin-en-Yvelines (2010-2014), de Montbéliard (2011-2015) de Sénart-Lieusaint (2015-2017) et en résidence au Rive Gauche, Scène conventionnée pour la danse, St-Étienne-du-Rouvray. Avec 21 créations à son répertoire, du solo à la grande forme, la compagnie tourne en moyenne 5 pièces totalisant plus de 40 représentations par an, dont un tiers in situ.